Re: Liceu francez ne Korce!
Enseignement bilingue
Albanie : des sections d’excellence
Après cinquante ans d’isolement, l’Albanie a renoué avec l’Europe occidentale et fait revivre une authentique tradition francophile et francophone. Voici cinq ans, deux lycées de prestige ont ouvert des sections bilingues albano-françaises et parmi les élèves de la première promotion, une vingtaine d’entre eux poursuivent des études universitaires en France.
Janvier-février - N°331
Au cours des siècles, la France et l’Albanie ont entretenu des relations épisodiques mais profondes. Mais c’est pendant la Première Guerre mondiale, lorsque l’Armée d’Orient occupa la ville de Korça, que l’influence française atteignit son apogée. L’empreinte française dans cette ville fut forte et durable. Un lycée français naquit en 1917. L’enseignement, fortement nationaliste, a contribué à l’éveil du nationalisme albanais. Ce lycée, ouvert jusqu’en 1939, allait former l’élite du pays pour les années à venir. La France, dans l’esprit des Albanais et en particulier celui des habitants de Korça, garde un grand prestige, bien qu’une politique de long isolement n’ait donné aucune chance aux relations franco-albanaises de progresser. Cette période est désormais révolue et l’ouverture de deux sections bilingues albanaises en 1998, l’une à Korça, l’autre à Tirana, permet de renouer avec la tradition du lycée français de Korça.
Les classes bilingues ont été mises en place à la lumière des expériences d’autres pays, mais en tenant compte de nos particularités. Nous avons même admis des variantes de fonctionnement dans nos deux établissements. En effet, la section bilingue de Korça s’est ouverte au lycée « Raqi Qirinxhi », lycée « général », cependant que celle de Tirana est installée au lycée « Asim Vokshi », lycée « de langues étrangères ».
À Korça, une dominante scientifique
Les élèves sont recrutés sur la base d’un concours qui comprend une épreuve de français et de mathématiques. Nous accueillons tous les élèves motivés, quelle que soit la situation socioculturelle de leur famille, à condition qu’ils aient une formation francophone basée sur les cursus de « l’école de 8 ans » (élèves de 6 à 14 ans) et de l’Alliance française de notre ville. Les chances sont égales pour tous.
Nous avons exclu l’année « zéro » (année préparatoire très fréquente dans les pays voisins où les élèves, pendant une année, apprennent le français à raison d’une vingtaine d’heures par semaine) afin de « gagner » une année très précieuse pour le budget des parents.
Au cours des quatre années du cursus bilingue, l’enseignement du français est assuré à raison de huit séances de 45 minutes par semaine, soit un volume de 280 heures annuelles. A la fin de l’année scolaire, s’ajoutent, durant les trois premières années, 80 heures enseignées pendant un mois d’été. Ainsi au bout de quatre ans de lycée, qui prolongent l’enseignement reçu à « l’école de 8 ans » à raison de 3 heures par semaine, les élèves ont suivi plus de 2 000 heures de français sur une période de dix ans d’études.
Nous avons des élèves motivés. Ils travaillent en demi-groupes pendant les cours de français. Pendant trois années consécutives, les élèves des classes bilingues ont été lauréats de concours réalisés par l’Alliance française de Paris, par l’Association « Amitié-Partage », par l’Ambassade du Canada…
Notre lycée étant à dominante scientifique, les disciplines enseignées partiellement en français sont essentiellement les maths, la physique, l’informatique. Mais l’histoire est aussi concernée ; les programmes nationaux en vigueur sont respectés. Le recrutement des enseignants de ces disciplines non linguistiques (DNL) était un problème assez difficile à résoudre : il fallait trouver des enseignants compétents, à la fois bons professeurs dans les disciplines concernées et possédant un niveau solide en français. Nous l’avons résolu dans un premier temps, mais ce problème se pose de plus en plus fréquemment. En 2002, les 25 élèves de la première promotion ayant terminé le cursus bilingue ont réussi le baccalauréat mention « bilingue », celle-ci figurant sur un certificat délivré par le Service Culturel de l’Ambassade de France. Douze parmi eux poursuivent des études universitaires en France. Nos anciens élèves obtiennent de bons résultats dans les différentes universités albanaises, et même en France.
Par ailleurs, l’enseignement bilingue ne se comprend pas sans activités culturelles. Six concours ont été organisés en 2003, ainsi que des spectacles. En outre, un jumelage existe entre notre lycée et le lycée « Le Verrier » de Saint-Lô, en Normandie, ce qui a déjà permis des voyages de classes, et l’attribution, chaque année, d’une bourse pour classes préparatoires aux grandes écoles de commerce destinée à l’un de nos meilleurs élèves de notre lycée.
Les lettres à l’honneur à Tirana
Notre section bilingue, qui comprend actuellement 172 élèves, a été ouverte dans un lycée de « langues étrangères ». Pour pouvoir y accéder, les élèves se soumettent à un concours d’entrée, avec des épreuves de français (50% du total), et des épreuves de diverses matières au programme de « l’école de huit ans ». À la dernière rentrée de septembre 2003, nous avions 33 candidats pour 18 élèves sélectionnés pour Tirana, ce nombre de candidats étant nettement supérieur à celui des années précédentes, ce qui est évidemment un signe de succès pour notre enseignement. Nous complétons ensuite une classe de 35 élèves environ avec des jeunes venant d’autres régions de l’Albanie, car nous sommes un lycée national.
Une fois sélectionnés, nos élèves effectuent leur « année zéro », une mise à niveau linguistique avec 18 heures de français par semaine, ce qui porte à cinq ans la durée du cursus. En deuxième année, les élèves sont en état d’apprendre des disciplines non linguistiques en français : l’histoire, la géographie, et la physique. À Tirana, nous avons fait un choix particulier : quatre professeurs de français enseignent l’histoire en français, faute de professeurs d’histoire ayant une aisance suffisante dans cette langue. Ces enseignants se sont spécialisés chacun dans une année du cursus et donc dans une époque historique. Ils ont fait des stages de formation et ont assisté à des cours d’histoire dans des lycées en France. La géographie est également enseignée par un professeur de français. Après quatre ans de travail, on peut dire que les résultats ont été satisfaisants. En juillet nous avons organisé la remise des diplômes et des certificats « mention bilingue » à nos premiers bacheliers. Tous ceux qui ont sollicité une inscription ont été admis et actuellement huit d’entre eux continuent leurs études à Paris, Grenoble, Nancy et Strasbourg.
Le nécessaire soutien de la France
Le soutien de la France pour la réalisation de nos objectifs est pour nous de plus en plus évident. La formation des enseignants est un axe prioritaire. Elle se fait de diverses manières : séminaires sur place pour des mises en commun d’expériences, stages linguistiques et pédagogiques en France, séminaires au niveau régional en Macédoine. L’accent est mis sur les DNL : entre autres actions, des stages en France en IUFM (de 2003 à 2005) permettront aux enseignants d’avoir un contact direct avec la langue française, leur donneront accès aux manuels et à la méthodologie, ainsi qu’à des séances d’observation dans leur discipline, de classes de collègues français expérimentés. La plupart de ces actions ont lieu dans le cadre d’un projet régional commun avec la Macédoine, ce qui a donné une nouvelle dynamique à notre travail de formation continue. La présence d’un « natif francophone » dans ces sections, depuis leur ouverture, joue également un rôle très important.
Mais les problèmes à résoudre restent très (trop) nombreux. Ainsi par exemple :
- L’émigration des professeurs des DNL qui partent après avoir été formés est un handicap majeur pour notre travail.
- Les professeurs n’ont ni décharges horaires au niveau institutionnel, ni primes comme leurs collègues d’autres pays ou, comme en Albanie, ceux des sections bilingues italo-albanaises qui sont subventionnés par l’Italie. La France peut et doit aider dans ce sens puisque l’enseignement bilingue intéresse la francophonie.
- Les manuels de DNL posent problème : soit ils sont absents, soit ils sont traduits de l’albanais. On ne peut utiliser les manuels français que pour les parties des programmes communes à la France et à l’Albanie.
- Nous n’avons pas actuellement accès à Internet pour des raisons financières. Ce serait pourtant essentiel, en particulier pour la recherche de documents pédagogiques, la mise en réseau de fiches au niveau régional, etc.
- Nous subissons une rude concurrence de la part de l’anglais et de l’italien qui bénéficient d’un soutien financier très important venant de leurs états respectifs, ou d’ONG.
- Enfin, pour la continuité de ces sections, il faut une volonté politique. La Convention entre la France et l’Albanie relative aux sections bilingues « traîne » pour des raisons absurdes dans les tiroirs du Ministère de l’Education de l’Albanie. Ce vide institutionnel nuit énormément à notre travail et à la francophonie de notre pays.
Pourtant, dans un contexte d’ouverture à l’international, l’enseignement bilingue représente à nos yeux un enjeu très important qui doit être pris en considération et se développer à tout prix.
Kiço XEGA
Professeur de français au lycée « Raqi Qirinxhi », ancien responsable des sections bilingues de Korça (Albanie)
Albana BEJA
Professeur de français et d’histoire au lycée « Asim Vokshi », Vice-Directrice de la section bilingue de Tirana (Albanie)